Jack Bittersweet 1. Le Portail des Ombres Marie Grousset

Mesdames, mesdemoiselles, messieurs ! La sortie en librairie de « Jack Bittersweet 1. Le Portail des Ombres »  de Marie Grousset étant imminente, découvrez en avant première les deux premiers chapitres du roman. En espérant que vous preniez plaisir à découvrir ce petit avant-goût…

1

Son nom était Jack Bittersweet. Un nom classe pour un type classe comme aurait dit son meilleur ami Danny. 15 ans au compteur, intelligent, sympa… Bref, un ado comme tant d’autres. En fait, il était même sensé être le héros de cette histoire. Mais il y’a comme qui dirait un petit détail, oh pas grand-chose, mais un petit détail qui fait de lui un héros un peu spécial.
Il est mort.
Juste avant son entrée en scène.
Pas très professionnel n’est-ce pas ?
Le plus « amusant », dans tout ça, c’est qu’il ne sait même pas comment c’est arrivé. La dernière chose dont il se souvienne, c’est qu’il se baladait dans la rue. Il avait rendez-vous avec sa petite amie, Lucie. Il regardait le ciel en marchant, pensant que rien ne pouvait lui arriver… et bam !
Je crois que je me suis fait tamponner par une auto.
C’est tout. Jack n’avait aucun souvenir de ce qu’il avait bien pu ressentir en mourant.  Il se souvenait d’une sensation de froid, et que tous les sons lui paraissaient de plus en plus lointains, comme si il disparaissait dans un tunnel.
Jack Bittersweet eut l’honneur d’assister à son propre enterrement. Très digne. Pas de larmes, pas de cris. Mais qu’est-ce que c’était rasant ! Ma parole, c’est un enterrement, pas une messe !!
Son meilleur ami Danny et sa copine Lucie étaient là, avec une bonne partie de sa classe et de mes professeurs. Il fut extrêmement touché de voir qu’il comptait pour autant de monde.
Snif.
Après la cérémonie, Jack resta près de sa tombe. Il ne savait pas quoi faire, ni où aller. Comment l’aurait il su d’ailleurs ?? Il espéra que, comme dans les films, quelqu’un vienne lui expliquer ce qui allait se passer.
Ce quelqu’un, ce fut Wendy.
Wendy surgit près de Jack, un peu comme un diable à ressort. Cheveux mauves, yeux rouges, peau bleue pâle, tunique noire et faux à la main, elle ressemblait à une caricature du parfait petit assassin. Bien entendu, Jack évita soigneusement de lui faire part de cette opinion quant à son apparence. Il était peut être mort, mais pas complètement dingue quand même!
Chose assez surprenante, Wendy était débordante de bonne humeur:
« Salut ! Bienvenue chez les défunts !
-Euh… vous êtes…
-La Mort ! Enfin, sa fille ! Je m’appelle Wendy.
-Moi c’est Jack Bittersweet.
-Je sais ! Je suis au courant de tout sur toi ! »
Jack eut la désagréable impression d’avoir été espionné.
Wendy fit un petit pas de danse avec sa faux. Le jeune homme, lui, fit un petit bond en arrière…
Et oublia d’atterrir.
« Ouah ! Je vole !
-Bah oui gros nigaud ! Les fantômes ont toujours su voler ! Pourquoi tu ferais exception à la règle ?
-Euh… il y’a d’autres trucs de ce genre que les fantômes savent faire ?
-Hum… Ca dépend ? Certains ont plus de pouvoirs que d’autres, ça dépend de comment ils étaient de leur vivant. Une chose est sûre, tu peux voler, te rendre invisible et passer à travers les murs.
-Cool. Et je fais comment ?
-Je n’en sais rien, ça se fait sans réfléchir. Un jour tu le feras et tu ne t’en rendras même pas compte ! »
Jack Bittersweet était mitigé cochon d’inde. Avoir des pouvoirs c’était cool, le rêve de tout ado qui se respecte, mais ne pas s’en servir, c’était aussi ballot qu’avoir passé dix ans en fac d’histoire et être persuadé que Staline était un chanteur de rock, non ?
« Et où je vais maintenant ?
-J’ai consulté le Grand Livre avant de venir te voir. Il est dit que tu n’as pas eu le temps de faire ton temps sur Terre. En fait, ce n’était pas du tout ton heure.
-Donc je vais revenir à la vie ?
-Non. C’est impossible. On t’a diagnostiqué comme mort, on t’a enterré. Si tu ressuscitais, ça ferait un sacré foin !  Ce serait le chaos absolu. Les vivants se douteraient qu’il y’a une vie après la mort et ça ferait scandale au Royaume des Morts ! Et moi, je me ferais trucider par maman.
-Oh. Alors, qu’est-ce qu’il va m’arriver ?
-Selon le Grand Livre, tu ne peux pas monter au Royaume des Morts. N’étant pas un être maléfique, tu ne peux pas non plus accéder au Royaume des Ombres et il est hors de question qu’on te ramène à la vie. Par conséquent, tu seras un fantôme errant. Tu resteras dans ton monde d’origine, et seuls les vivants dotés d’une sensibilité accrue aux phénomènes paranormaux pourront te voir. Comme il y’en a peu, ça ne risque pas d’arriver… Par contre, pour éviter que tu ne croises des gens auxquels tu tenais étant vivant, tu vas être projeté dans le futur.
-Hein ?! Mais pourquoi ?!
-Si tu croisais ta famille, ou bien tes anciens amis… Est-ce que tu n’aurais pas envie de leur parler ?
-Si…. Je suppose.
-Je suis désolée. Tu vas être transféré en 2111, soit cent ans dans le futur. Tu vas voir, ça va être cool comme voyage. Et puis, si tu es perdu, tu n’auras qu’à m’appeler. Il suffit de crier mon nom, et si je suis disponible, j’apparaîtrais.
-Euh… Wendy ?
-Au fait… tu risques de te trouver un peu changé en arrivant. Dis toi que l’âme n’a pas forcément la même apparence que le corps ! Bonne chance ! »
Avant même que le malheureux n’ait le temps de dire ou faire quoique ce soit, Wendy lui asséna un coup de faux très violent. Jack ne ressentit aucune douleur mais eut la sensation qu’on le poussait avec une force surhumaine, à tel point que si il y’avait eu un mur derrière lui, il aurait fait un magnifique trou à son effigie dedans.
Jack atterrit dans un nuage de poussière, sur un plancher très dur et très vermoulu, se ruinant le dos au passage. Mouais. En cent ans, les humains auraient au moins pu apprendre à faire des pistes d’atterrissage pour fantômes un peu plus confortables !
Alors qu’il se relevait en pestant après cette idiote de Wendy, quelque chose attira le regard du jeune homme. Dans un coin sombre, se trouvait une photo. Elle était couverte de poussière mais après l’avoir nettoyée, Jack eut un choc.
Papa.
Maman.
Lili.
Jonathan.
Moi.
Sans être capable de définir exactement à quelle période avait été prise cette photo, Jack estima avoir à peu près cinq ou six ans sur le cliché. Même si c’était loin, il se souvenait presque parfaitement de cette journée. Ils avaient été pique niquer en famille, dans la grande maison de ses grands parents. Son frère Jonathan et sa sœur Lili se chamaillaient, une fois de plus. Jonathan avait glissé un ver dans le cou de sa sœur qui avait immédiatement répliqué en prenant le ver pour essayer de pendre son frère. Le couple Bittersweet avait tenté de séparer les deux enfants, sans grand succès. Pendant ce temps, le grand père de Jack, qui commençait sérieusement à s’impatienter, avait pris la photo, en déclarant que ce serait le parfait reflet de la bêtise humaine. Cette déclaration avait profondément vexé monsieur Bittersweet.
Jack réalisa alors que si il pouvait tenir cette photo ternie par le temps entre ses doigts, ça signifiait qu’il se trouvait chez lui. Cent ans plus tard, mais chez lui. Dans son grenier.
Jack avait entendu dire une fois que lorsqu’une personne mourrait, son âme restait attachée à l’endroit qui lui était le plus cher.
Apparemment, pour lui, c’était la maison où il avait grandi.
Ca l’arrangeait bien, car il ne se voyait vraiment pas coucher dehors.
Alors qu’il tenait toujours la photo, Jack remarqua quelque chose de très bizarre. Ses doigts.
Primo, il n’avait plus d’ongles, mais des griffes noires.
Deuxio, sa peau était mauve pâle.
Qu’avait dit Wendy déjà ? Un truc sur l’apparence du corps et de l’âme ?
Oh oh.
Un miroir. Il lui fallait un miroir. Et tout de suite
Si la maison n’avait pas été complètement chamboulée, et si les souvenirs de Jack étaient bons,  il devait y’en avoir un à la salle de bain.
Il se précipita hors du grenier.
Jack s’attendait à ce qu’énormément de choses aient changées en cent ans, mais il fut rassuré de voir que la déco était juste un peu plus kitch qu’avant. Ca lui plaisait bien. Par contre, sa mère n’aurait pas apprécié. C’était une femme nature, elle n’aimait pas trop le superflu.
La salle de bain avait bien changé elle aussi. Rien qu’au premier coup d’œil, on devinait facilement que les nouveaux habitants étaient riches.
En me voyant dans le miroir, l’adolescent eut un sacré choc.
De son vivant, Jack était blond, il avait les yeux bleus et une peau de pêche… A présent, il avait  des cheveux noirs parsemés de mèches blondes, sa peau était mauve pâle et ses yeux étaient… bordeaux ?
Comble du comble de l’horreur, il était habillé avec le costume dans lequel on l’avait enterré.
Un peu trop chic au goût de Jack qui se serait bien contenté d’un ensemble jean et baskets.
Mais bon, en se débrouillant bien, il parviendrait bien à piller un magasin de frusques.
Jack fit le tour du propriétaire. Puisque personne ne pouvait le voir, autant qu’il en profite pour se balader non ? Il était chez lui après tout !
Des photos de famille accrochées aux murs lui en dirent un peu plus sur la nature de ses nouveaux colocataires. Une femme, en tailleur, regardait d’un air aimant un homme en costume et un bébé qui ne cessait de grandir au fil des photos. Si bien qu’au final, à la place d’un bébé, c’était une jolie jeune fille qui se trouvait entre le couple. Cheveux noirs, mèches bordeaux, yeux améthyste… Plutôt mignonne dans l’ensemble. Si on en jugeait par la plus récente des photos sur laquelle elle apparaissait, elle avait fait son entrée au lycée cette année.
Elle ne devait pas avoir  plus de quinze ou seize ans.
Une voiture se gara dans l’allée.
*
« Mina, tu vas me rendre dingue ! Tu sais pourtant ce que le docteur a dit : tu ne dois pas sortir.
-Ca va maman, j’ai qu’une grippe, je ne suis pas en train de mourir !
-Franchement… »
Devant l’indifférence totale de sa fille, Judith Garland préféra abandonner. Mina était depuis toujours incapable de tenir en place et avec l’adolescence, ça ne faisait qu’empirer. Une fois, sa mère l’avait surprise en train d’essayer de descendre par la fenêtre de sa chambre en se suspendant au lierre accroché sur les murs.
Elle n’avait eu qu’une jambe cassée, mais Judith avait fait poser des barreaux à la fenêtre.
Mina sourit. Dieu ce que les parents pouvaient être angoissés ! Et c’est à elle qu’on disait d’être plus zen ? Pfiou ! Cependant, elle comprenait tout à fait sa mère. Judith avait déjà eu assez de mal à avoir sa fille, on pouvait imaginer qu’elle n’ait aucune envie de la perdre.
Mina était une ado épanouie. Populaire, elle était arrivée au lycée avec deux ans d’avance. On aurait pu croire qu’elle aurait eu du mal à trouver sa place parmi tous ces grands boutonneux, mais non. Elle s’adaptait vite à toutes les situations et tout le monde l’adorait. Les garçons lui couraient après, les filles cherchaient à devenir sa meilleure amie… Que du bonheur.
En la regardant, Judith ressentit une immense vague de fierté. On ne lui disait que du bien de sa fille. Quelle mère n’aurait pas été fière de l’avoir pour enfant ?
Elle regarda sa montre.
« Presque 6 heures… Ton père ne devrait plus tarder à rentrer. »
Peter Garland était avocat dans une grande ville. Il passait le plus clair de son temps à travailler, mais lorsqu’il revenait à la maison, c’était un père de famille et un époux exemplaire. Lorsque Judith l’avait épousé, elle avait immédiatement su qu’elle avait de la chance d’avoir un époux aussi aimant.
En rentrant dans la maison, Mina ressentit quelque chose d’étrange. Un froid polaire qui la fit frissonner.
Peut-être que je ferais mieux d’aller me coucher en fait…. ?
Elle monta dans sa chambre. Elle avait fait la décoration elle-même, reflet de sa personnalité. Un mélange de gothique, d’époque victorienne et de glamour. C’était sans aucun doute une des plus belles pièces de la maison.
Lorsqu’elle avait visité cette maison, trois ans plus tôt, avec ses parents, elle avait aussitôt flashé sur cette chambre. La maison avait été inhabitée pendant très longtemps, après qu’un jeune garçon qui habitait là soit mort. On racontait des histoires affreuses à ce sujet mais le couple Garland ne croyait pas aux fantômes et Mina n’en avait pas peur.
*
Une fille.
Dans sa chambre.
Il y’avait une fille dans sa chambre.
Jack n’en croyait pas ses yeux. Où étaient ses posters, ses vieux jeux d’enfant ? En cent ans, il comprenait que les choses aient changées mais pas à ce point !
Le jeune fantôme s’était caché derrière un rideau. Jouer les voyeurs n’était pas son truc, mais il ignorait encore comment passer les murs et il avait peur de faire du bruit en faisant bouger la porte. Elle ne pouvait pas le voir mais elle pouvait peut être l’entendre, sentir sa présence. Alors qu’elle s’approchait de la fenêtre, Jack commença à paniquer.
Il voulut s’éloigner, filer à l’anglaise mais…
Elle se figea.
Elle le voyait.
Elle se mit à hurler.
Pris de panique, Jack plaqua sa main sur la bouche de la jeune fille. Ses yeux le fixaient d’un air terrorisé. La pauvre gamine devait penser qu’il était un dangereux psychopathe. Jack lui fit signe de se taire.
« Je ne te veux aucun mal. Crois moi. Je sais que c’est difficile à croire, en me voyant planqué dans ta chambre. »
Elle parût un peu plus calme.
« Je peux te lâcher ? Tu ne vas pas hurler ? »
Elle secoua frénétiquement la tête pour lui faire signe que oui.
Comme un idiot, il la lâcha.
Bien évidemment, elle se remit à hurler.
« Mina ?! »
Sa mère monta en courant voir ce qui se passait. Ne sachant pas où se cacher ni comment s’enfuir, Jack se prépara mentalement au pire. Au revoir chère maison…

2

« Il y’a un homme dans ma chambre ! »
Judith Garland regarda sa fille, inquiète. A part elles deux, il n’y avait personne.
« Qu’est-ce que tu racontes Mina chérie ? Tu vois bien qu’il n’y a personne ici. »
Mina se tourna vers l’intrus, qui était toujours à côté d’elle, visiblement un peu gêné.
« Mais… mais… mais si ! Enfin, tu ne le vois pas ?!!
-Mina, je crois que la fièvre te donne des hallucinations. Tu devrais aller dormir. »
Sans attendre, Judith redescendit, un peu inquiète. Restée dans la chambre, Mina se retourna lentement vers l’étranger.
« Qui es tu ? »
– C’est ce que j’essaie de te dire ! Je suis Jack Bittersweet. J’habitais ici avant ! »
Mina le regarda comme si il était  fou furieux. Compréhensible non ?
« Tu… Jack Bittersweet est mort il y’a cent ans. Tout le monde a entendu son histoire !
– Je suis condamné à errer sur Terre. Je sais que c’est dur à croire, et je suis désolé de t’avoir fait peur. Mais tu es ici dans ma chambre. Et je… je pensais que tu ne pourrais pas me voir. »
Elle ne parut pas fâchée. Un sourire vint se dessiner sur ses lèvres et elle eut un petit rire :
« Le pire dans tout ça… c’est que je te crois. Ne me demande pas pourquoi, mais je sais que tu dis la vérité.
-Merci.
-De rien. Dis moi juste une chose ? Que comptes tu faire ?
– Je ne sais pas trop. Je pensais aller dormir au grenier et me faire discret.
-Au grenier ?
-Bah oui. Je me vois mal demander à tes parents si ils accepteraient de m’héberger.
-Effectivement. Maman aurait une attaque. Tu… tu n’as qu’à dormir ici. Après tout, c’est ton ancienne chambre non ?
-Oui, mais tu vas dormir où toi ?
-Bah ! Ici ! On t’installera un petit coin et puis, moi je suis rarement là la journée. Enfin sauf en ce moment, j’ai la grippe. »
Jack la regarda bizarrement. Comment pouvait on s’adapter à une situation aussi bizarre ?
Enfin… Dans le cas présent, ça l’arrangeait bien et puis…
Ici au moins, il ne risquait pas de lui arriver grand-chose.
*
Le portail reliant le Royaume des Ombres au Royaume des Vivants était ouvert. D’habitude, il était constamment fermé, mais dieu sait comment, il s’était ouvert. Pas assez pour que des démons puissent passer de l’autre côté, mais si on ne faisait rien, la situation n’allait pas tarder à sérieusement dégénérer.
Wendy était inquiète. Elle avait fait le chemin depuis le Royaume des Morts pour voir si le portail était trop ouvert. Elle aurait aimé le trouver fermer.
Sa mère allait hurler.
Wendy n’aimait pas le Royaume des Ombres. D’ailleurs, personne n’aimait cet endroit. On y trouvait des créatures maléfiques, cruelles… C’était un lieu terrifiant.
Serrant un peu plus fort sa faux, Wendy essaya de se rassurer. Elle était la fille de la Mort. Elle pouvait se défendre contre n’importe quoi.
Néanmoins, elle n’était pas du tout rassurée.
« Tiens, tiens… quelle surprise. »
Sursautant, la jeune fille se retourna et fit face à un jeune homme très séduisant. Un sourire cruel aux lèvres, il agita ses longues ailes de cuir en regardant Wendy avec l’air d’un chat qui observe sa proie.
« Wendy Moira Angéla Darling, n’est-ce pas ? Peter Pan, pour vous servir.
-Jaden ! »
Reconnaissant celui qui avait été un jour son petit ami, Wendy fronça les sourcils. Elle avait été folle amoureuse de Jaden. Même plus que ça. Il avait été l’homme idéal… au moins un temps. Et puis, elle s’était rendue compte d’à quel point il était mauvais.
Jaden s’avança :
« Tu n’as pas l’air heureuse de me voir, Wendy ? Jadis, tu me sautais au cou dès que tu m’apercevais !
-Les temps ont changé Jaden.
-Pas toi. Tu es toujours aussi… mortelle.
-Comment va Timothy ? »
Elle vit Jaden se décontenancer. Il avait beau être un démon surpuissant, machiavélique et mauvais jusqu’à la moelle, il avait un point faible : son frère jumeau Timothy. Timmy était un garçon maladif, timide. Dans le temps, il avait été un guerrier plus puissant encore que son frère. Et puis, il avait été pris en otage… Mutilé, maltraité, il était revenu à demi-mort. Jaden avait failli mourir en voulant le sauver.
A présent, Timothy était un enfant dans le corps d’un adolescent. Il n’avait aucun souvenir de ce qu’il avait été et c’était sans doute mieux comme ça.
Il avait fallu remplacer ses bras et ses jambes par des membres de squelette. Doté d’une force étonnante, Timmy aurait facilement pu décapiter un homme à main nue.
« Il va bien.
-Je me suis toujours demandée comment vous pouviez être jumeaux en étant aussi différents.
-… »
Jaden fulminait. Wendy se tût. Elle savait que Jaden pourrait entrer dans une colère destructrice si elle continuait à s’aventurer sur ce terrain miné.
« Que fais tu là Jaden ?
-J’ai senti ta présence. J’étais curieux.
-Eh bien maintenant, laisse moi.
-Oh que non… A ce que je vois, le portail s’ouvre… Imagine Wendy, si jamais il s’ouvrait totalement, la fureur de ta mère, le chaos dans le Royaume des Vivants… Tu ne veux pas ça n’est-ce pas ? »
Wendy se retint de lui sauter à la gorge. Il la provoquait, sachant très bien qu’elle était totalement impuissante. Elle ne le frapperait pas avec sa faux, et il le savait. Elle l’aimait encore, qu’elle l’admette ou non.
« Tu as besoin de nous Wendy…
-Nous ?
-Tim et moi. Tu sais que nous sommes les seuls à être assez puissants et à être assez fous pour vouloir t’aider.
-Tim n’est pas en état…
-Ne le prends pas pour un invalide. Il n’est peut être plus que l’ombre de lui-même, mais tu sais à quel point ses pouvoirs sont infinis. »
Wendy baissa les yeux. Jaden avait raison. Seuls lui et Timothy pouvaient l’aider. Mais même eux n’y arriveraient pas seuls et elle se refusait à les laisser sans surveillance.
« J’y réfléchirais.
-A ta place, je réfléchirais vite. Il ne faudra pas longtemps avant que le portail soit totalement ouvert. Et là…
-J’ai dit que je réfléchirais. »
Elle disparut. Jaden sourit. Il avait gagné et il le savait. Il regarda le ciel. La lune rougeoyante était déjà haute. Il devait retourner auprès de son frère, avant que celui-ci ne se réveille. Timmy serait mort d’inquiétude si il ne trouvait personne à la maison.
Revenue dans son royaume, Wendy tremblait encore. Jaden avait un don pour la rendre folle. Il lisait en elle comme dans un livre ouvert, lui jetant à la face ses pires peurs et ses pires cauchemars sans aucun scrupule.
Et pourtant, elle l’aimait encore. Elle avait cherché à l’oublier, mais jamais elle n’y était parvenue.
Elle n’arrivait même pas à vraiment le détester.
*
En dînant, Mina avait la tête ailleurs. D’habitude, elle adorait les repas en famille et en profitait un maximum, mais là, elle ne pensait qu’à son « nouvel ami ». Si on lui avait dit que l’ancien occupant de sa chambre allait venir la hanter… elle aurait ri. Maintenant, elle se demandait si elle n’était pas simplement devenue folle. Pourtant, elle ne souffrait pas de la solitude, alors pourquoi s’imaginerait elle quelqu’un comme Jack ?
La seule réponse plausible était que Jack existait vraiment. Il lui avait vaguement expliqué le pourquoi du comment il s’était retrouvé là mais elle avait toujours du mal à y croire.
Un an plus tôt, la meilleure amie de Mina était morte. Ca avait été une dure épreuve pour elle, et pendant un temps, elle s’était mise à espérer que les fantômes existaient.  Mais elle s’était vite rendue à l’évidence. Les morts restaient morts. Ils ne revenaient pas.
Alors pourquoi Jack… Il lui avait dit qu’on l’avait projeté cent ans dans le futur exprès. Mina trouvait que ça tenait du sadisme plus que de la logique.  Elle ne savait que trop bien ce que c’était de perdre un être cher. Elle aurait tout donné pour qu’on lui rende Maggie. Même si ce n’était que quelques secondes.
En laissant Jack dans la chambre, Mina avait eu l’impression de faire une bêtise. Elle ne le connaissait pas. Elle ne savait rien des fantômes et ne s’y connaissait absolument pas en paranormal. Pourtant, elle lui faisait confiance. Pourquoi ? Elle n’était pas stupide.
En remontant dans sa chambre, elle pria pour ne pas la retrouver dévastée.
*
En attendant sa ravissante hôtesse, Jack Bittersweet faisait une petite sieste. Ce fut seulement lorsqu’elle ouvrit la porte qu’il se rendit compte qu’il avait le nez collé au plafond. Il s’était envolé pendant qu’il dormait. Pas désagréable d’ailleurs comme sensation, il avait fait un petit somme très sympa. Mina parût très surprise de le voir redescendre calmement, comme si de rien n’était :
« Qu’est-ce que tu faisais ?
-Je dormais. Tu as bien mangé ?
-Oui. Oh zut ! Je n’ai même pas pensé à te ramener un truc à grignoter !
– Ne t’inquiète pas pour moi. Je n’ai pas faim. »
Il ne disait pas ça pour la frime. Depuis sa mort, il ne ressentait plus le besoin de manger ou de boire. C’était un « avantage » qu’il y’avait à être mort.
Mina le regarda, avec une étrange expression de curiosité empreinte de rêverie :
« Qu’est-ce que ça fait de voler ?
-De voler ?
-Oui. Qu’est-ce que ça fait ? »
Oh, ça faisait beaucoup de choses. Mais c’était indescriptible. Mû par une impulsion subite, Jack prit doucement les mains de Mina et la regarda dans les yeux.
« Tu as confiance en moi ?
-Euh… oui. »
Sa sincérité faisait plaisir à entendre. Jack s’attendait à avoir du mal à la porter, mais elle lui sembla aussi légère qu’une plume.  Elle eut un hoquet de surprise lorsqu’elle commença à quitter le sol.
Arrivés au plafond, Jack la tint contre lui. Elle était toujours soumise aux lois de la gravité après tout et il n’était pas certain qu’elle apprécie d’être tenue à bout de bras comme un vieux sac. Mina le regardait, un grand sourire aux lèvres.
« C’est super. »
On ne peut plus d’accord avec cette appréciation, Jack désigna la fenêtre d’un signe de tête :
« Un vol à l’air libre, ça te tente ?
-On pourrait… on pourrait nous voir ?
-Tu as peur ? »
Elle secoua la tête. Tout en la gardant serrée contre lui, Jack ouvrit la fenêtre.
« Prête ?
-Oui. »
Et ils passèrent de l’autre côté du miroir.
*
Jaden regardait son frère dormir. Timmy avait besoin de dormir. Depuis… depuis que ça c’était passé, il était comme ça, limite narcoleptique. Jaden avait eu beaucoup de mal à reconnaître son jumeau dans cet individu fragile qu’était devenu Timothy. Jadis, les deux garçons étaient des démons craints dans tout le Royaume des Ombres. Ayant grandi seuls depuis la mort de leurs parents, ils avaient vite appris à se battre et à enfermer leurs cœurs dans des prisons de glace. Il y’avait eux et les autres.
Timmy était alors bien plus fort que Jaden. Ses pouvoirs étaient immenses. Il était fort, cruel, imprévisible… Mais quand il s’agissait de son frère, il était surtout très protecteur. Les deux frères se protégeaient mutuellement, éliminant sans le moindre scrupule  ceux qui tentaient de percer leur petite bulle.
Et quelqu’un avait fini par réussir.
Et tout avait changé.
Timmy avait mis des mois à se remettre. Ca avait été horrible. Jaden avait failli mourir, mais ça, il s’en moquait. Timmy avait failli mourir, et ça c’était le plus important à ses yeux. En revenant à lui, son frère ne se souvenait même pas de qui il était.
A présent ça allait un peu mieux. Mais Jaden avait renoncé à le faire redevenir comme avant.
Timothy ne serait plus jamais comme avant.
Timmy ouvrit les yeux :
« Jaden ?
-Salut petit frère.
-Tu vas bien ?
-Oui… tu devrais continuer à te reposer un peu. Tu as l’air claqué.
-J’ai mal à mon bras. »
Jaden fronça les sourcils. Les bras squelettiques de Timmy ne pouvaient pas le faire souffrir, étant insensibles à la moindre sensation.
« Tu as fait un cauchemar ?
-Oui. »
Il en faisait beaucoup ces temps-ci. Beaucoup trop. Jaden caressa les cheveux de son frère :
« Essaie de penser à autre chose. »